Le plus récent rapport de RH Tourisme Canada, intitulé Perspectives de la main-d’œuvre en tourisme après la pandémie, présente une analyse détaillée des enjeux systémiques de main-d’œuvre auquel est confrontée l’industrie du tourisme, ainsi que les effets de la COVID-19 sur ce secteur et des recommandations pour renforcer son caractère durable et résilient durant la phase de reprise économique post-COVID. Bien que le point de mire du rapport soit les enjeux liés à l’emploi en tourisme, on y aborde aussi des enjeux économiques, sociaux et politiques qui mettent en contexte les analyses.
Incidence de la COVID-19
Le tourisme est le secteur de l’économie qui a été le plus durement touché par la pandémie et la route vers la reprise de ce secteur s’annonce parsemer d’obstacles importants.
Dans les sous-secteurs du tourisme, toutes sources de la demande confondues, y compris la demande de la part des locaux, les activités économiques ont diminué encore plus que celles de tous les autres secteurs de l’économie. En février 2021, aucun secteur de l’économie n’était revenu à des parts de contribution au PIB comparables à celles enregistrées avant la pandémie (janvier 2020 comme base de référence), mais le PIB correspondait quand même à 98,1 % de celui enregistré en janvier 2020. En revanche, le PIB de l’ensemble des sous-secteurs du tourisme n’était revenu qu’à 58,1 % des niveaux prépandémiques.
Depuis le début de la pandémie, de nombreux propriétaires d’entreprises touristiques ont été contraints à la fermeture en raison de l’absence de touristes ou des mesures sanitaires qui ont limité leurs capacités à servir les clients locaux. En janvier 2021, il y avait 9,8 % moins d’entreprises touristiques actives qu’à la même période de l’année précédente. Le recul du nombre d’entreprises touristiques actives a varié de 2,2 % dans le sous-secteur de l’hébergement à -27,9 % dans celui des services de voyages.
Au cours des deux mois suivants, le début de la pandémie, l’emploi en tourisme a reculé de 43,1 %. Les niveaux d’emploi ont commencé à remonter en mai, mais on compte néanmoins environ 450 000 travailleurs de moins dans le secteur du tourisme qu’en 2019 et après l’été, les niveaux d’emploi ont commencé à reculer à nouveau. Puisque le tourisme est pratiquement inexistant depuis l’été 2020, les niveaux d’emploi en tourisme ont varié à la hausse et à la baisse suivant les restrictions imposées par la santé publique. Aux éclosions de COVID-19 qui ont provoqué la fermeture des provinces, on peut attribuer un recul de l’emploi de l’ordre de 15 à 23 %. En avril 2021, on comptait 520 000 travailleurs de moins en tourisme qu’en février 2020 (dernier mois avant que la pandémie n’atteigne le Canada).
Reprise : Rythme variable et importance de la demande locale
Il importe de reconnaître que la « reprise du tourisme » progressera à différents rythmes selon les sous-secteurs et les régions. Les sous-secteurs comme la restauration et les loisirs et divertissements, qui s’appuient largement sur la demande locale (plutôt que sur la demande des touristes) se remettront bien plus rapidement de la crise que les sous-secteurs qui s’appuient principalement sur la demande des touristes nationaux. Au demeurant, les entreprises qui s’appuient principalement sur le tourisme international prendront beaucoup plus de temps à se remettre de la crise. Toutes sources de clientèle confondues, clients locaux ou touristes nationaux ou internationaux, l’industrie du tourisme est essentiellement axée sur la saison estivale. Les entreprises régionales qui rouvriront en juin, en juillet ou en août 2021 (le plus tôt sera le mieux) auront un avantage indéniable sur celles qui demeureront fermées plus longtemps. Dans tous les cas, les entreprises touristiques sont très préoccupées par une possible quatrième vague qui pourrait donner lieu à un nouveau confinement. Tout confinement pendant la saison estivale aura un effet dévastateur sur le tourisme. Il faut donc gérer le déconfinement avec une extrême prudence.
Une hausse importante de la demande en produits et services touristiques est à prévoir dès que les mesures seront levées, et ce autant de la part des clients locaux que des touristes nationaux. L’ampleur de la demande sera fonction des campagnes de vaccination, de la confiance renouvelée des consommateurs, de la reprise des voyages et d’un nombre important de foyers (ceux qui ont eu la chance de conserver une source de revenus pendant la pandémie) qui commenceront à dépenser les économies cumulées pendant la pandémie.
L’activité économique sera d’abord concentrée dans les régions. Jusqu’à la réouverture des frontières, il y aura peu de demandes pour des voyages internationaux. On manquera aussi des occasions d’attirer les touristes nationaux parce qu’on ne pourra pas compter sur certains grands facteurs d’attraction. Par exemple, en Ontario, les attraits intérieurs, comme les musées et les galeries d’art, ne rouvriront qu’à la dernière phase du plan de déconfinement, qui pourrait avoir lieu aussi tard qu’à la fin de juillet. Partout au Canada, les principaux festivals, événements sportifs et conférences ont déjà été annulés ou déplacés en mode virtuel. L’incapacité d’accéder aux principaux attraits ou d’assister à de grands événements aura un effet dissuasif sur le tourisme vers les régions hôtes. Encore une fois, les hôtels en subiront les répercussions connexes, ainsi que les restaurants, mais dans une moindre mesure.
Après une année de pandémie, les Canadiens ont pourtant très envie de sortir et de voyager. Les Canadiens, qui sont eux-mêmes soumis à des restrictions sur les voyages internationaux, voire à des restrictions de voyages interprovinciaux, ont changé leurs plans de voyage pour se tourner principalement vers des destinations intraprovinciales et de plein air. L’année passée, ils ont été nombreux à se rendre dans des chalets, des campings ou d’autres destinations dans leur province ou les provinces voisines. Les campings de partout au Canada ont affiché des taux d’occupation sans précédent. On observera sans doute la même tendance en 2021.
Malgré tout, on peut quand même prévoir un scénario dans lequel certaines régions observeront une forte hausse de la demande touristique, ce qui se traduira par un besoin important de travailleurs. Parallèlement, dans les centres urbains, la demande de la clientèle demeurera en deçà des niveaux prépandémiques en raison de l’absence de voyageurs internationaux et d’affaires, et du maintien des mesures de télétravail.
Effets sur la main-d’œuvre
Dans le contexte du retour de la demande touristique, le retour de la main-d’œuvre déplacée vers d’autres secteurs d’activités est une priorité du secteur du tourisme. Les acteurs de l’ensemble du secteur du tourisme craignent en effet que les travailleurs déplacés ne reviennent pas dans leur industrie après la pandémie, ce qui accentuera les problèmes existants de pénuries de main-d’œuvre en tourisme. Même si les travailleurs reviennent, les entreprises situées dans les régions très populaires auront de la difficulté à former un effectif suffisant assez rapidement pour répondre à la demande. Parmi les préoccupations des propriétaires d’entreprises, mentionnons la perte d’employés d’expérience clés, ce qui fait en sorte qu’ils devront exploiter leurs entreprises avec un effectif moins expérimenté, du moins au début du déconfinement. Sur ce point, mentionnons quand même une bonne nouvelle : de récents sondages montrent que trois quarts des entreprises touristiques ont conservé leur personnel clé pendant la pandémie (même si cela était synonyme de pertes financières).
Une autre source de préoccupation est le fait que, pendant la pandémie, on a noté une détérioration de l’opinion du public et des travailleurs, actuels et potentiels, à l’égard du secteur du tourisme comme lieu de travail. La COVID-19 a eu un effet négatif sur le désir de travailler en tourisme, sur les perceptions quant à la santé et à la sécurité dans le secteur, ainsi que sur la sécurité des emplois touristiques. Bon nombre de travailleurs sont préoccupés par les faibles salaires et avantages, les heures de travail variables, le peu d’occasions de développement professionnel et les idées perçus sur le secteur, comme qu’on y trouve surtout des travailleurs peu qualifiés et qu’on n’y offre pas de sécurité d’emploi.
À long terme, il faut mettre l’accent sur la réforme des voies d’immigration afin qu’elles tiennent compte de la réalité du secteur du tourisme. Sans égard aux enjeux de dotation immédiats et à court terme pour l’été, le futur de la main-d’œuvre en tourisme repose sur l’immigration. Entre 2017 et 2018, l’immigration nette a contribué à 80 % de la hausse de la population canadienne. D’ici le début de la décennie de 2030, la croissance de la population canadienne reposera d’ailleurs entièrement sur l’immigration. La prospérité actuelle et future du Canada dépend donc de l’arrivée d’immigrants.
La reprise du secteur a déjà commencé, mais aux fins de planification des politiques, il importe de souligner que la reprise économique des industries qui reposent essentiellement sur le tourisme national et international sera beaucoup plus longue et que les anciens travailleurs de ces industries n’y reviendront sans doute jamais.
Pendant la pandémie, les entreprises touristiques ont concentré leurs efforts sur le maintien de leurs activités et elles ont utilisé les mesures de soutien pour demeurer solvables. Les enjeux auxquels elles sont confrontées ne sont pas prêts de disparaître, et avec la réouverture de l’économie, il est plus urgent que jamais de recentrer notre attention sur la main-d’œuvre afin de nous assurer de pouvoir répondre à la demande renouvelée de la part des touristes.